Petite fille revenant de l'école […] un homme que je ne connaissais pas m'a interpellée, me criant de rentrer chez mes parents, en courant, car il allait y avoir une fusillade.

La terrible journée du lundi 12 juin commençait. Les maquisards, prévenus qu'un détachement allemand venait à Lormes pour une opération de réquisition, prennent position pour attendre l'ennemi. Je me souviens avoir remarqué un tas de bois cachant une mitrailleuse, avant de prendre mes jambes à mon cou. Monsieur Grandioux, dont j'ai le récit manuscrit de cette journée, évacue sa famille, les femmes de gendarmes et d'autres personnes dans la cave Mathé, épicerie, maintenant remplacée par la Caisse de Crédit Agricole, ainsi que le café Vaquier, où l'on s'active aussi, pendant cette journée.

Les balles sifflent déjà. C'est au cours de cette embuscade que sont tués les habitants de Lormes, et Résistants, dont les noms figurent sur [la] plaque [apposée sur la Mairie] : notre marchand de chaussures, Monsieur Chaussefoin, achevé d'une balle dans la tête, Monsieur Colas qui s'obstine à jardiner, cible immanquable sur le flan du Mont Saint Alban, ce Résistant Paul Pozzi, abattu et resté accroché au chéneau de cette maison (Ravelo), entre autres.

Des renforts allemands arrivent de Château-Chinon, à pieds depuis l'étang du Goulot, rasant les murs, aux aguets. Pendant une accalmie, après la fusillade, les Allemands font sortir les habitants de leurs maisons et rassemblent sur cette place près de quatre-vingt otages, mains en l'air, pendant quatre heures d'angoisse : des camarades de ma classe (les demoiselles Marceau), des hommes et des femmes (MM. de Bièvre, Grandioux, Deroye, Garnier, Beoschat, Garenne, Geoffroy de Vézigneux, MMes Machain, Mathé, Migneau, etc, etc, et le Maire M. Gueugniaud et son adjoint M. Silvain.

Les soldats investissent les cafés pendant que l'officier exige un véhicule pour transporter leurs blessés, menaçant de faire brûler la ville.

Fernand Bobin, ayant son camion en panne, ne peut répondre à cette demande et rejoint le groupe des otages. Là, les Allemands le chargent d'aller réparer des pneus crevés, accompagné de deux autres, au garage Desmergers.

Puis, Maire et Adjoint engagent une difficile et infructueuse discussion pour obtenir la liberté des otages, jusqu'au moment où Adrien Silvain (ancien aviateur de la guerre 14-18, abattu dans les lignes ennemies et fait prisonnier) ouvre sa veste pour s'offrir en échange de la vie des otages. Impressionné, l'officier cède.

Les soldats semblent avoir reçu un ordre d'évacuation rapide du détachement. Ivres, pour beaucoup, ils mettent le feu aux quatre coins de cette place : la bijouterie Benoist est déjà en flammes et, de la maison Pernet, se dégage une fumée noire. Neuf hommes sont désignés et emmenés dans une camionnette en direction de Clamecy (MM. Guy, Grandioux, Pillon, Leroy, Benoist, Quersain de l'Isle, Alonso, Trapp et Fangeroux). Ils seront libérés un peu plus tard.

Les Allemands, enfin, quittent les lieux et aussitôt tous les Lormois font des chaînes de seaux d'eau pour éteindre les incendies. Pratiquement pas de dégât côté gauche de la place, mais un peu plus loin, dans la maison Pernet, et destruction totale de la bijouterie Benoist. Gérard Mathé se charge, à l'aide de sa grande échelle, d'enlever le corps de Paul Pozzi.

Chacun, encore sous le coup de la peur, médusé, anéanti par l'émotion, au moment où la terrible journée s'achève, regagne son foyer dans la plus grande tristesse. […]

Marie-Madeleine Silvain
Maire de Lormes de 1989 à 1995
dans le bulletin "Lormes-Informations" n° 11, juillet 1994